Le Caire

Publié le par Cécile et Nicolas

Au Caire, on voit trouble. L'air est flou et le soleil brumeux.

Les presque 20 millions de gens fourmillent entre les taxis, les bus et la poussière de la ville. Le Caire, c'est un peu comme un grand monstre qui vous avale dans un vacarme énorme, crasseux et passionnant de détails. C'est le genre de ville où on peut se poser sur un trottoir ou un escalier et passer une journée entière à regarder et à écouter. Tout se fait dehors, se vit, se vend, se mange dehors. Les gens ont l'air d'habiter la rue.


Les rues sont toutes le paradis de quelque chose. Le tout est de savoir où le quelque chose que vous cherchez à installé son paradis. Ne pas savoir peut être un vrai problème vu l'énormité de la ville. Mais quand on a le temps, la patience et le goût de l'insolite, une journée banale de courses se transforme au Caire en une vraie traque à l'objet dans un labyrinthe de découvertes.

Ainsi, par exemple, allez-y pour trouver la rue du cable de dérailleur entre celle des balais et celle des pantalons, ou pour trouver la rue des claxons à vélo au milieu de celle des couettes et des poignées de portes... On n'a jamais trouvé la rue des piles plates pour lampe de poche mais en la cherchant, on a découvert la rue de la balançoire et des îcones coptes. Sur notre lancée, on a aussi appris que si on se fait offrir le thé dans une famille copte et si on ne le boit pas jusqu'à la dernière goutte, c'est très mauvais présage pour les filles pas mariées de la famille, elles ne trouveront jamais leur maris (et apparemment, défaillance du Caire, pas de rue spécialisée dans la vente de maris coptes pour fille dont l'invité n'a pas fini le thé).

Le pain a le privilège d'être partout dans sa rue. Toutes les rues sont rue de pains. Il se vend même sur le terre plein central des grands boulevards, entre les allées de gauche et celles de droite, baptisé et rebaptisé mille fois par les gaz d'échappement des voitures.



Le transport des produits écoulés par ces petits marchands, il se fait par voie de têtes! Les Egyptiens sont des vrais as du portage sur tête, ils ont parfois trois caisses empilées, ou d'énormes plateaux de
pains, et ce même en vélo (et ils traversent des carrefours complètement embouchonnés sans même
s'arrêter). Incroyable. On a encore beaucoup à apprendre en maîtrise cycliste.

Chaque rue a aussi son cireur de chaussures et ses vendeurs de trottoirs. Ceux-là sont installés sur
quelques morceaux de carton et proposent tout et n'importe quoi aux passants. Ca sent souvent la
misère. Parce que le Caire, c'est aussi une grande ville de misère dans un pays de misère.

Parlons de l'école par exemple. Dans le sud de l'Egypte, la partie la plus pauvre du pays, beaucoup d'enfants n'y vont plus. Trop cher et trop vain. A la place, ils travaillent aux champs ou à la ville, plus rentable pour la famille. Pour les autres, ceux qui ont la chance de pouvoir aller à l'école, la vie n'est
pourtant pas toujours beaucoup plus rose. Ils sont parfois jusqu'à 80 enfants par classe, parfois ce sont eux qui doivent acheter les craies de l'instituteur, parfois aussi, ils sont obligés de prendre des leçons privées chez ce même instit pour qu'il les fasse réussir. De parfois, on est vite à souvent. Et voilà un des gros problèmes de l'Egypte. Un gros pourcentage de la population n'est pas alphabétisée, dont beaucoup de femmes.



L'Egypte est un pays compliqué à habiter. Grand désert, seulement 4% des terres sont cultivables, ce
qui fait que les 71 millions d'habitants se concentrent. Les campagnes, très pauvres, viennent parfois remplir les villes qui se surpeuplent. Et la pauvreté reste, les bidonvilles naissent, les ordures s'entassent. Au Caire, beaucoup d'enfants vivent dans la rue, ils survivent grâce à leur débrouille et à leur petit boulot de trieurs de poubelles qu'on appelle chiffonnier. Entre la Citadelle et le vieux Caire, il y a un quartier qui s'appelle la Cité des Morts. C'est un grand cimetière, mais des gens particulièrement en détresse y ont trouvé refuge et ont construit leurs "maisons". Ne trouvant plus de place chez les vivants, ils l'ont trouvée parmi les morts, les tombes et les mausolées.
Et  pourtant...

Et pourtant le nombre de mots de bienvenue qu'on entend quand on promène nos têtes blanches est à
l'échelle de la surpopulation. Et des petits bonshommes tous barbouillés du noir de la rue viennent nous toper un gros coup dans la main avec des sourires ravageurs. La chaleur arabe continue de nous séduire.

Même si parfois cette proximité nous fatigue et nous oppresse. Le regard collant et instistant des hommes par exemple nous met souvent mal à l'aise (dans le métro, il y a d'ailleurs 2 wagons réservés
exclusivement aux femmes, petite parenthèse pour échapper à un petit supplice quotidien). L'omniprésence de la religion et la foi démesurée dans le comportement des gens sont aussi difficiles à supporter par moment. Tous ces haut-parleurs qui diffusent volume à fond les appels à la prière en les imposant à tous, tous ces hommes, enfouis dans leur coran format de poche, qui délaissent tout, laissent en branle leur commerce ou leurs réunions, rateraient bien leur train, pour aller s'accroupir et se recueillir sur leurs tapis, ces hommes au front taché d'un bleu ou même d'une brûlure tellement leurs contacts au sol sont intenses, et ces femmes toutes noires complètement voilées ("mode" religieuse arrivée des pays du Golfe il n'y a que quelques années) que certains appellent les femmes boîtes aux lettres, qu'on rebaptiseraient bien les femmes fantômes.
Hommes boxés et femmes cachées, on la trouve un peu... brutale la religion en Egypte.   

Dans la troublante et turbulente animation du Caire, on a eu l'occasion d'entrer dans une bulle. On est allé dans une école primaire très différente de celles dont on vient de vous parler. L'école s'appelle Misr
Language School (Misr ça veut dire Egypte en arabe). Dans cette école, les enfants ont la chance d'avoir des cours variés et ouverts en groupes normalement peuplés (une trentaine d'enfants) dans des classes aérées et décorées. C'est une école primaire de langue, la classe qu'on a rencontré, classe de CM2, reçoit tous ses cours en français. Ces enfants ont donc pu nous raconter plein de choses...


Ils nous ont dit qu'ils aimaient beaucoup leur pays, plein de beaux monuments comme les Pyramides ou la vallée des rois, mais qu'en même temps, ils le trouvent trop pollué et trop sale et ça ils aimeraient
bien que ça change.

Ils nous ont expliqué ce proverbe qu'on raconte ici que "dans chaque Egyptien, il y a le Nil" (on dit ça
en montrant ses veines des poignets où le Nil coule).

Ils nous ont raconté leurs petits déjeuners, pendant lequel ils mangent le Fool, une purée de fèves dans un sandwiche. C'est tellement nourrissant qu'on peut ne plus rien manger pendant la journée sans avoir faim. Et le Tameya, difficile à décrire, un "hamburgher avec du vert à l'intérieur", de la purée de fèves en boulettes frites, les sandwiches falafel.

Ils nous ont montré leur jeux de récréation, "Masa Kit El Malek" ou "l'attrapeur du roi", un jeu d'attrape.
Il y a aussi le jeu des Capulets (le rôle des filles) et des Montaigus (le rôle des garçons), c'est la maitresse, chouette maitresse, qui raconte l'histoire. Dès qu'elle dit "Capulet" les garçons se mettent à courir après les filles pour les attraper et l'inverse quand elle dit "Montaigus". Les deux derniers non attrapés sont les Roméo et Juliette du jour !!!

Pour l'école, ils étaient en train de lire "L'oeil du loup" de Daniel Pennac, et "Charlie et la Chocolaterie". Ca vous dit quelque chose ?

Ils nous ont raconté aussi leur organisation politique. Toutes les 3 semaines, il y a des élections dans la classe. Les candidats se présentent et les électeurs votent. On élit un président (chargé de faire le bilan de la semaine chaque jeudi ou bien de prendre la température du contentement de chacun ou encore d'organiser une grève s'il n'y a pas assez de cours de sport ces derniers jours, c'est arrivé) et un secrétaire. Puis chacun dans sa classe a ses responsabilités: il y a le chef de rang, le remplaçant, l'éteigneur de lampe (quand on éteint la lampe, tout le monde se tait)...

Pour ceux qui sont intéressés, ou veulent en savoir plus sur les détails de cette mini société super
dynamique, écrivez à

la classe de CM2 de Mme Sonia
Misr Language School
El Fayoum Street
Gizah
Cairo
Egypt

De la cour, en essayant de deviner qui allait être l'attrapeur du roi, on a aperçu ... un petit coin de pyramide !!! On est allé leur rendre visite, et on a emmené Berzingue. On n'a pas pu rentrer dans le site
avec lui, alors, on l'a troqué contre 2 dromadaires et en bordure du grand nuage du Caire, on s'est balladé tranquillement entre le sphinx et les pyramides...



Puis de retour dans le grand capharnaum du Caire, il nous restait encore à attendre notre colis, le fameux qui amenait la pièce qui allait sauver Berzingue, et le colis n'arrivait pas (et on a vite perdu confiance en la poste égyptienne après y avoir fait un petit tour). On s'est senti un peu écoeuré par ce Caire, trop fou de bruits et de monde, trop salissant. On en a eu marre de devoir se jeter entre les taxis dont le claxon remplace le frein pour aller au trottoir d'en face (les gens conduisent avec leurs oreilles et pas avec leurs yeux) et de devoir bousculer tout le monde pour ne pas se faire dépasser 10 fois dans la file des tickets de métro.

Alors, au lieu d'attendre le colis, on a pris rendez- vous avec lui, et pour passer le temps jusqu'au jour J, on a construit un radeau. On s'est posé sur le Nil et étourdis par le clapotis des vapeurs polluées, on s'est assoupi, puis carrément endormi. Notre radeau s'est mis à dériver. Quand on s'est réveillé, on était sur un fleuve de bouillons percé de volcans fumants. Au milieu des bouillons, on a vu des yeux. C'était des yeux de crocodiles. Derrière les yeux, des corps entiers de crocodiles tout verts et bruns et très féroces et puis on a entendu leurs bouches claquer. Alors on a eu très peur. On a prié un coup mais comme pas de réponses de Dieu-Allah (on avait oublié le tapis), on a enfilé nos pagnes de guerre et on a démonté 2 planches du radeau qu'on a taillées en harpons tranchants et avec toutes nos forces de
voyageurs de 4 mois, on a déchiré tous les crocodiles. Qu'ils aillent au diable. Sauf un, celui qu'on a
grillé et dévoré jusqu'aux écailles. Belle revanche. Puis, le chant des vautours et la digestion aidant, on
s'est assoupi puis carrément endormi. Notre radeau a fait un demi tour sur lui-même et comme par magie, il s'est mis à dériver exactement dans le sens inverse. Quand on s'est fait réveiller par des claxons excités, on a reconnu qu'on était au milieu du Nil du Caire, alors on a accosté, on est allé à l'endroit du rendez-vous où naturellement le colis nous attendait.



On a filé sur la terrasse où Berzingue prennait littéralement la poussière. On l'a remis en forme et
on l'armé d'un gros claxon spécial vélo (un miracle trouvé dans le fouilli du Caire tout droit venu de Chine, qui va nous permettre d'enfin rivaliser avec les taxis).

Et puis, on s'en est allé, vite fait, parce que la folie nous guête.

(mais quand même, merci mille fois à tous ceux qui nous ont envoyé des lettres et des colis, l'école des
Accacias, de Chambles et de Bousval, et les autres qui savent et et ceux qui ont parfumé nos jours de galettes, spéculoos, nic nac et biscuits + anecdotes bien belges). Les écoles: bravo pour les progrès en écriture arabe et bon vol aux cerfs volants, on sera content de découvrir tout ce que vous avez déjà fait, et la "Bab" de la bibliothèque; et bonne chance pour continuer de nous suivre sur les cartes (il parait qu'il y en a qui suivent même notre progression en altitude!).

Eh les Italiens! vous voyez bien qu'on n'était pas du genre à abandonner. On arrivera à Udine avec
Berzingue. Promesse.


Et puis merci à nos hôtes du Caire, un couple de belges bien sympa qui a dû nous supporter + supporter
nos envies subites de cuisiner des gratins de pâtes et des gratins de courgettes à la sauce blanche au cury et des pommes de terres rissolées mais ramollies et de la soupe au potiron. 

Publié dans surlesroutes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
N
boujour a vous deux,<br />     j'espere que vous allez bien et que votre voyage se deroule tres bien.<br />      Je voudrais vous dire que je n'ai toujours pas recu l'offrante que vous m'avez envoyez<br />       .Suite au resultat du concours,que j'effectué au mois de novembre.<br />      Je vous embrasse tres fort et je vous dit a bientot <br />       Nelly AMBRUS  de l'ecole des acacias<br />          L'ETRAT  42580<br />  
Répondre
C
Rien ce matin... pas de nouvelles.Depuis que j'ai mis le lien internet de votre blog en onglet, je clique tous les jours pour savoir si vous avez pu nous envoyer des news. Gros bizou à tous les deux et bonne traversée jordanienne ! Au grand plaisir de vous lire et voir vos photos très bientôt :o)CélinePS : le froid lyonnais est bien mordant alors je pense encore plus à vous deux... ça réchauffe.
Répondre
N
Merci Marie hélène de nous rassurer ..très tôt ce matin ! Maintenant que j'ai le temps pour moi je vais, plusieurs fois par jour, voir s'il y a des nouvelles des aventuriers !  Je vais donc patienter sans inquiétude. 
Répondre
A
bonjour, <br /> voilà maintenant c'est l'hiver. il y a de la neige à StEtienne entre 5 et 10cm. il fait froid, il, faut mettre les bonnets. hier beaucoup d'élèves n'ont pas pû venir à l'école, pas de bus. vous pouvez nous prêter votre vélo ?<br /> combien de km faites - vous par jour ?  combien de km y a t -il sur le compteur ? où êtez vous ? on aime beaucoup vos photos. on attend les prochaines, on aimerait vous voir tous les deux sur le vélo.<br /> dur dur d'écrire en arabe dands notre projet d'écriture.<br /> au revoir . A bientôt. les fp5 des Accaias.<br />  
Répondre
C
Merci Marie-Hélène cela me rassure, en effet le temps se faisait long...
Répondre